En 1962, Hebert Marshall McLuhan a introduit pour la première fois le concept de « village planétaire » dans son manuscrit « Gutenberg Galaxy » : « le monde devient un village planétaire, une communauté dans laquelle la distance et l’isolement sont surmontés »1. Depuis lors, parallèlement à l’expansion de la mondialisation, nous avons contribué à une réduction du temps de transit dans le monde grâce à une mobilisation plus rapide des personnes et des biens. Ce phénomène, conjugué à la croissance démographique et à l’urbanisation croissante, a entraîné une propagation mondiale d’agents pathogènes provenant de différentes régions, ainsi que de leurs propres vecteurs. Bien que de nombreuses études aient abordé le sujet de la propagation de la résistance aux antibiotiques à l’échelle mondiale, aucune donnée concluante n’est actuellement apparue, compte tenu de leur diversité méthodologique, sur l’ampleur du problème et les facteurs potentiels impliqués dans la propagation. Cependant, des différences cohérentes dans l’épidémiologie de la résistance aux antibiotiques ont été enregistrées dans différentes zones géographiques selon le rapport mondial sur la surveillance de la résistance aux antimicrobiens publié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)2. Plusieurs facteurs sont impliqués dans l’émergence rapide de la résistance aux antibiotiques : la surutilisation et l’abus de ces médicaments dans les infections et la prophylaxie, l’utilisation extensive en agriculture et le déploiement à grande échelle en tant que suppléments de croissance chez le bétail. D’une manière générale, l’absence de réglementation et de surveillance dans de nombreux pays, ainsi que l’impact de la mondialisation, ont conduit non seulement à la sélection, mais aussi à la propagation d’espèces résistantes aux médicaments. En raison de ces grandes différences géographiques dans la prévalence de la résistance aux antibiotiques, d’autres facteurs épidémiologiques (tels que les flux migratoires, le tourisme, le commerce des biens et les changements climatiques) amplifient la possibilité de propagation.
Flux migratoires et résistance aux antibiotiques
Il existe de plus en plus de preuves que les mouvements humains facilitent la propagation mondiale des bactéries résistantes et des gènes de résistance aux antimicrobiens. En particulier, l’augmentation des taux de résistance aux antimicrobiens (RAM) dans les pays en développement, tant dans les établissements de santé que dans la communauté, représente un facteur de risque pour la propagation des agents pathogènes de la résistance aux antimicrobiens, en particulier si ces pays sont à l’origine de flux migratoires importants3. Les facteurs facilitant l’acquisition et la transmission d’agents pathogènes MDR parmi les migrants mobiles sont l’effondrement des infrastructures de logement, d’hygiène et de soins de santé dans les communautés d’origine ainsi que les mauvaises conditions d’hygiène pendant le voyage vers les pays de destination4. Les données épidémiologiques concernant la relation entre les flux migratoires et la propagation de la résistance aux antibiotiques ne sont pas concluantes compte tenu de la diversité méthodologique des études réalisées jusqu’à présent. Cependant, une récente méta-analyse basée sur 23 études observationnelles portant sur un total de 2,319 migrants inclus de 2000 à 2017 en Europe, a montré que la prévalence de tout transport ou infection par résistance aux antibiotiques dans la population donnée était de 25,4% (IC 95%, 19,1-31,8). Cette prévalence cumulée était plus élevée chez les réfugiés et les demandeurs d’asile que chez les autres groupes de migrants (33,1 %, 11,1-55,1). En ce qui concerne le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), la prévalence était de 7,8 % (4,8-10,7) alors que la prévalence des bactéries Gram négatif résistantes aux antibiotiques était de 27,2 % (17,6-36,8). Il est intéressant de noter qu’aucune preuve de taux élevés de transmission de la résistance aux antibiotiques des populations migrantes aux populations d’accueil n’a été trouvée5.
ix) Le rôle du tourisme
Les voyageurs internationaux revenant de destinations AMR à forte prévalence dans leur propre pays sont des vecteurs possibles de microbes résistants acquis au cours du voyage. En outre, de multiples études ont montré que les chances d’acquérir des entérobactéries multirésistantes sont liées à la prévalence locale dans la zone de destination et varient de 21 à 51 % dans les voyages sains provenant de la zone de faible prévalence. Les voyages en Asie ou dans le sous-continent indien présentent un risque majeur d’acquisition d’entérobactéries BLSE (bêta-lactamase à spectre étendu) ou de CRE (entérobactéries résistantes au carbapénème) avec un taux de colonisation fécale liée au voyage pouvant atteindre 85 %. Le taux de colonisation a été plus faible, mais toujours constant, pour les voyages vers l’Afrique ou le Moyen-Orient (13-44 %). Parmi les facteurs de risque de colonisation, l’inconfort gastro-intestinal, la diarrhée, l’assistance médicale dans le comté de destination et l’abus d’antibiotiques se sont révélés particulièrement pertinents. Les régions à forte endémie comme destination de voyage ont également été identifiées comme un facteur de risque majeur pour l’acquisition d’entérobactéries multirésistantes aux médicaments, y compris les infections des voies urinaires6,7.
Particulièrement intéressant est le cas des voyageurs qui sont admis à l’hôpital pendant leur voyage. Un rapport réalisé en Finlande et incluant 1.122 voyageurs revenant de leur destination après avoir eu une hospitalisation occasionnelle à l’étranger a révélé un taux de colonisation bactérienne multirésistante de 55% pour ceux provenant des zones tropicales et de 17% des zones tempérées. Les taux de colonisation se sont révélés les plus élevés chez ceux qui revenaient d’Asie du Sud (77,6 %), suivis par ceux qui avaient visité l’Amérique latine (60 %), l’Afrique (60 %) et l’Asie de l’Est et du Sud-Est (52,5 %). Les facteurs de risque indépendants de colonisation étaient la destination du voyage, le temps écoulé depuis la sortie de l’hôpital, le jeune âge, la chirurgie et l’administration d’antibiotiques8.
Tourisme médical
Les étrangers à la recherche de soins médicaux sont une autre source pertinente de propagation de bactéries multirésistantes aux médicaments. En 2018, jusqu’à 11 millions de personnes ont déménagé à l’étranger à des fins médicales. Dans cette population particulière, le risque de devenir des porteurs résistants aux médicaments a été estimé être plus élevé que dans la population locale. Conformément à cela, une étude récente menée en Israël a montré que les patients étrangers qui recherchaient des soins médicaux avancés avaient un risque 6 à 10 fois plus élevé de contracter des bactéries multirésistantes que la population résidente. En outre, ce risque était lié à l’épidémiologie microbiologique du pays d’origine et du pays d’origine9.
Commerce mondial et résistance aux antibiotiques
Le développement d’agents pathogènes résistants a été attribué non seulement à l’utilisation accrue d’antibiotiques dans les hôpitaux et les établissements ambulatoires, mais aussi à des applications vétérinaires et à des processus physiques utilisés dans la production et la conservation des aliments10. Un exemple intéressant, en ce sens, est l’observation récente d’une augmentation importante de la résistance à la colistine (MCR-1) au cours d’un projet de surveillance de routine de la résistance antimicrobienne chez les Escherichia coli commensaux provenant d’animaux destinés à l’alimentation en Chine11. Cette nouvelle résistance a ensuite été identifiée chez les humains, les animaux producteurs d’aliments, les animaux de compagnie et les aliments12. Aujourd’hui, le MCR-1 s’est répandu dans plus de 30 pays en raison de l’utilisation de colistine dans l’industrie alimentaire13. Bien que potentiellement pertinent, le rôle du commerce mondial dans la propagation des bactéries résistantes et des gènes de résistance aux antimicrobiens a été mal exploré jusqu’à présent. Contrairement à l’utilisation humaine qui semble mieux soumise à des réglementations communes, l’utilisation d’antimicrobiens dans le domaine de la production alimentaire et dans le domaine vétérinaire, par exemple à des fins auxologiques, n’est souvent pas soumise à des règles internationales univoques. La réglementation nationale et internationale des liens entre les aliments et le commerce est essentielle pour contrôler la propagation potentielle de la RAM. Toutefois, à l’heure actuelle, la réglementation de la RAM pose problème surtout dans des contextes où l’engagement politique ou la capacité bureaucratique de réglementation est faible14.
Impact relatif des différents déterminants sur la propagation des espèces pharmacorésistantes
Ces dernières années, les pays développés, et en particulier l’Europe occidentale, ont connu un afflux important de migrants et de réfugiés en raison des conflits en cours, de l’instabilité politique et économique et des crises humanitaires dans certaines régions d’Afrique et d’Asie. Bien que les données disponibles suggèrent que les migrants peuvent être les porteurs d’une charge importante d’organismes multirésistants aux médicaments (MDR), d’autres facteurs contribuent plus substantiellement à la propagation mondiale de la RAM. En fait, l’Organisation internationale pour les migrations a signalé que 257,7 millions de migrants dans le monde en 2017 ; mais au cours de la même période, l’Organisation mondiale du tourisme a signalé 1,4 milliard de touristes dans le monde (dont 11 millions pour des traitements médicaux, comme indiqué par l’Association du tourisme médical) et 7,1 milliards de passagers ont utilisé un vol (ACI Annual World Airport Traffic Report). Enfin, la Banque mondiale a signalé que 750 millions de conteneurs de fret ont été expédiés en 2016. Sur la base de ces données, il est évident que la contribution potentielle des différents déterminants à la propagation de la RAM est profondément différente, reléguant le risque associé aux flux migratoires à un rôle apparemment de soutien.
Conclusions
La mondialisation est un processus irréversible qui a des conséquences graves et mal maîtrisables sur les soins de santé. Afin de prévenir et de contrôler la propagation de la résistance aux antibiotiques dans le monde, l’OMS a soutenu un plan d’action international solide pour lutter contre ce problème, qui repose principalement sur :
- Améliorer la surveillance des infections résistantes aux antibiotiques ;
- Renforcer les politiques, les programmes et la mise en œuvre des mesures de prévention et de contrôle des infections ;
- Réglementer et promouvoir l’utilisation et l’élimination appropriées de médicaments de qualité ;
- Fournir des informations sur l’impact de la résistance aux antibiotiques.
Cependant, compte tenu du manque de sensibilisation de nombreux pays, en 2019, l’OMS A répertorié la propagation des résistances aux antibiotiques parmi les 10 principales menaces mondiales pour la santé publique auxquelles l’humanité est confrontée et a préconisé la recherche d’une nouvelle classe d’antibiotiques et d’outils de diagnostic compte tenu de la difficulté de tous les pays concernés.