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Volume 2, Numéro 1
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La transition épidémiologique de l’état aigu à l’état chronique, les inégalités en matière de santé en Inde

Dagmar Rinnenburger
DOI: https://doi.org/10.36158/97888929555163
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Abstract

Un changement épidémiologique a déjà eu lieu, et aussi dans la phase post coronavirus le nombre de maladies chroniques sera plus élevé que les maladies aiguës et transmissibles. Selon l’OMS (2), en 2015, 5,8 millions de personnes en Inde sont mortes de MNT (maladies non transmissibles), c’est-à-dire de maladies chroniques : maladies cardiovasculaires et pulmonaires, cancer et diabète. En 2015, les diabétiques étaient 69,2 millions et seront près de 100 millions en 2030. La complexité des interventions est liée aux conditions socio-économiques et, en particulier, à l’accès à l’éducation et à l’eau potable. À Mumbai, 40 % de la population vit dans des bidonvilles. Quatre principaux facteurs sociaux influent sur la santé des personnes vivant dans la pauvreté : l’eau sale, le faible niveau d’instruction, l’inactivité physique et les transports. Ces éléments font que les situations se détériorent davantage, et les maladies chroniques jouent un rôle complexe. Il n’y a pas de solution facile à cela : l’Inde, qui est à la fois très riche et très pauvre, nécessite des interventions spécifiques visant des contextes différents, et il convient de noter qu’une transition vers une approche anticipative et proactive peut être trouvée à la fois dans les pays riches et dans les pays pauvres

Partout dans le monde, la chronicité augmente. Dans les pays développés, les gens vieillissent beaucoup et la multimorbidité est plus fréquente, les maladies infectieuses aiguës étaient sous contrôle jusqu’au début de la pandémie de SRAS-CoV-2 en 2020. Dans les pays émergents comme l’Inde, les séjours aigus et chroniques sont différents. Son taux de croissance est similaire à celui de la Chine – son PIB (produit intérieur brut) a augmenté de 8,2 % en 2016 et de 6,1 % en 2019 ; en outre, l’écart entre les riches et les pauvres semble se creuser. Il y a une Inde riche, semblable aux pays occidentaux, où la « classe moyenne » est en hausse et la pauvreté diminue.

L’Inde est toujours aux prises avec des maladies infectieuses telles que le sida et le paludisme ; elle a du mal à traiter environ 400 000 enfants qui meurent de diarrhée et héberge environ un quart des cas de tuberculose dans le monde. Quand on pense à l’Inde en termes de santé, les maladies infectieuses et la famine sont au premier plan. Les maladies infectieuses, bien qu’elles diminuent lentement, absorbent encore une quantité considérable de ressources.

« Avec une population de 1,34 milliard d’habitants, le fardeau de la maladie en Inde est étroitement surveillé par des scientifiques intéressés par la santé à l’échelle mondiale. Le fardeau de la maladie en Inde est dominé par deux grappes de maladies apparemment divergentes – d’une part, les maladies cardiovasculaires qui sont classiquement associées à la suralimentation et à la richesse ; et d’autre part, les maladies diarrhéiques et les infections des voies respiratoires inférieures qui sont classiquement associées à la sous-alimentation et à la pauvreté. Ce mélange paradoxal de maladies reflète une transition épidémiologique continue, qui est apparue parallèlement à la transition d’une économie à faible revenu à une économie à revenu intermédiaire. L’Inde est l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde, mais les gains économiques ont été répartis de manière hétérogène dans la population. Dans ce contexte épidémiologique et économique dynamique, on s’intéresse de plus en plus à la ventilation des statistiques nationales de la santé par groupe socioéconomique, en partie pour éclairer les discussions sur l’allocation de ressources limitées pour la santé et les soins de santé ».1.

Selon l’OMS (2), en 2015, 5,8 millions de personnes en Inde sont mortes de MNT (maladies non transmissibles), c’est-à-dire de maladies chroniques : maladies cardiovasculaires et pulmonaires, cancer et diabète. En Inde, une personne sur quatre risque de mourir d’une maladie chronique avant d’atteindre l’âge de 70 ans. L’Inde est également un pays avec un grand nombre de patients diabétiques. En 2015, les diabétiques étaient 69,2 millions et seront près de 100 millions en 2030. Il en résulte un grand nombre de patients atteints d’insuffisance rénale.

En décembre 2017, « The Lancet »3 a publié un rapport épidémiologique sur l’Inde intitulé Nations within a nation : variations in epidemiological transition across the states of India ; 18% of the world’ s population lives in India : 1.340 million people ; here states are more similar to nations. La conclusion de cet article est qu’en Inde, au cours des 25 dernières années, les maladies non transmissibles, qui sont des maladies chroniques, ont dépassé les maladies transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles, à un rythme qui varie considérablement d’un État à l’autre.

Les maladies maternelles et les décès périnatals sont un facteur très important, bien qu’ils semblent diminuer constamment. Selon le site de l’Unicef, plus de 60 000 enfants naissent chaque jour en Inde, soit un sixième des naissances mondiales. Nous pouvons prendre un pays européen comme l’Italie pour faire une comparaison : en 2018, environ 1200 bébés par jour sont nés ici. La mortalité périnatale en Inde a considérablement baissé au cours des 25 dernières années. En 2018, environ 30 enfants sont morts en Inde pour 1000 (en Italie 2,59), mais en 1996, il y avait encore 76 décès pour 1000 naissances (source OMS). La réduction a été obtenue en travaillant sur la sécurité des mères et des nouveau-nés, sur les conditions qui permettent aux femmes d’accoucher dans des environnements protégés : la plupart des décès de mères et d’enfants surviennent en fait dans les 48 heures qui précèdent l’accouchement.

De vastes ressources continuent d’être consacrées aux maladies infectieuses, alors que la menace de la chronicité est imminente et ne touche pas seulement les personnes âgées. En tant que traceur d’épidémies, nous pouvons prendre le diabète, comme le suggère Gavino Maciocco dans le livre La salute globale (Global Health)4. Le choix du diabète est dû au fait que cette maladie occupe une position intermédiaire : vers le haut de la courbe nous avons des facteurs de risque et l’obésité en particulier, vers le bas il y a des maladies cardiovasculaires et une série de conditions connexes (de l’insuffisance rénale à la cécité), plus fréquentes chez les patients diabétiques que dans le reste de la population. En Inde, le diabète de type 2 est plus fréquent et est corrélé à un poids corporel plus faible que dans d’autres pays.

Le fait le plus frappant est que l’augmentation rapide du diabète et de la résistance à l’insuline en Inde n’est pas seulement liée à une augmentation de l’obésité : la nutrition abondante et la malnutrition des femmes enceintes sont à blâmer. Un véritable paradoxe. Le fait que l’insuffisance pondérale à la naissance soit un facteur de risque pour le développement du diabète de type 2, en particulier chez les femmes, a fait l’objet d’un article publié en 20155. Cela signifie que pour prévenir efficacement le diabète, il est nécessaire non seulement d’améliorer le régime alimentaire et d’améliorer l’activité physique, mais aussi d’améliorer la nutrition des femmes enceintes. Le diabète en Inde commence plus tôt, à un âge plus jeune, et a moins à voir avec l’obésité.

L’acidocétose, la neuropathie rétinopathique, la néphropathie, les maladies coronariennes et les infections des pieds sont la triste conséquence d’un diabète mal géré, alors la question est : pouvons-nous nous permettre d’être ignorants et de continuer à diffuser de fausses informations sur la maladie ? Plus un pays est pauvre, moins nous pouvons nous permettre le prix de l’ignorance. La conclusion est que la prévention devrait commencer à l’école. Siddartha est un jeune homme et le diabète de type 1 ne touche que 10% des diabétiques indiens, mais les difficultés à trouver le bon traitement et les préjugés liés à la maladie sont similaires dans d’autres cas. En fait, il y a un fort préjugé contre le diabète également en dehors de l’Inde.

Comment une si grande nation peut-elle réagir à ce défi ? Le modèle Kaiser Permanent (Kaiser Permanent est l’un des plus grands régimes de soins de santé à but non lucratif aux États-Unis) montre clairement que 5 % des cas les plus graves absorbent 70 % des ressources. Le défi est de ne pas permettre à ces cas d’atteindre un stade aussi avancé, mais d’agir beaucoup plus tôt, avec un modèle centré sur la prévention.

En Inde, il est très difficile d’obtenir un traitement, en particulier dans les zones rurales et dans les énormes bidonvilles des grandes villes, en raison du manque d’infrastructures. Le Service national de santé est gratuit et est utilisé par les moins nantis. Les riches recherchent généralement des soins de santé privés. Toutefois, les chiffres du tableau 1 montrent que le service n’est manifestement pas en mesure de garantir une couverture universelle.

Les directives qui s’appliquent dans le monde occidental ne sont pas toujours applicables dans toute l’Inde. En particulier, elles ne s’appliquent pas aux pauvres, pour lesquels l’accès aux soins, d’un point de vue logistique et économique, est un problème insurmontable, en particulier dans les zones rurales. Les maladies chroniques telles que le diabète ne sont pas financées autant que le sida, par exemple. Les coûts du traitement sont un facteur important et poussent souvent les gens à rechercher d’autres thérapies à base de plantes non validées. En outre, tous les médecins généralistes ne traitent pas le diabète et les patients sont souvent envoyés à des spécialistes qui, dans de nombreux cas, ne sont pas joignables. Bien qu’elles soient adaptées au contexte indien, de nombreuses recommandations fondées sur des lignes directrices sont difficiles à mettre en œuvre dans le contexte de la pauvreté rurale et en particulier urbaine. La pauvreté en Inde signifie vivre dans un bidonville. Lorsque la pandémie de coronavirus a frappé en avril 2020, le « Financial Times » a noté qu’en Inde 101 millions de personnes vivent dans des bidonvilles, 24 % de la population.

La définition des taudis donnée par l’Organisation des Nations Unies est la suivante : « zone résidentielle urbaine très peuplée composée principalement d’unités d’habitation peuplées et décrépies habitées principalement par des personnes démunies ». À Mumbai, 40 % de la population vit dans des bidonvilles. Bien sûr, la plupart des habitants sont pauvres. Les conditions personnelles varient. Mumbai est une ville extrêmement chère et certains travailleurs choisissent en fait de vivre dans un bidonville pour économiser sur le loyer et les services publics. Clairement dans ce contexte
il est impossible de garder une distance de sécurité et souvent même de se laver les mains, comme cela est devenu essentiel depuis le début de la pandémie de coronavirus.

Dans de telles situations, où localise-t-on les maladies chroniques, comme le diabète ? Un article publié en 20186 cherche à comprendre les principales difficultés des bidonvilles et la façon dont les problèmes se chevauchent, ce qui contribue à la complexité de ce scénario. Quatre principaux facteurs sociaux influent sur la santé des personnes vivant dans la pauvreté : l’eau sale, le faible niveau d’instruction, l’inactivité physique et les transports. Ces éléments font que les situations se détériorent davantage, et les maladies chroniques jouent un rôle complexe. Le faible niveau d’éducation est lié aux maladies cardiovasculaires. L’absence de transports publics entraîne une utilisation accrue des cyclomoteurs, ce qui réduit l’activité physique : cela entraîne un risque accru de maladies cardiovasculaires et de diabète. Se tenir debout pendant des heures pour recueillir l’eau augmente le stress et la pression artérielle. L’analyse de la complexité de ces interactions pourrait motiver les politiciens à changer la situation. Les changements socioéconomiques et épidémiologiques ne s’arrêtent pas dans la partie la plus pauvre de la société, où les gens vivent dans des taudis et dans des zones rurales pauvres. Les facteurs de risque du diabète sont les mêmes partout : une vie sédentaire, une mauvaise alimentation, un poids excessif et l’hérédité.

À cela il faut ajouter qu’il n’y a pas de système public de santé. À Dharavi, le plus grand bidonville de Mumbai, en Inde et dans le monde, il y a des rapports7 de nombreux services de soins de santé improvisés non enregistrés qui opèrent dans le domaine du diabète. Ici, beaucoup ont été diagnostiqués avec le diabète, bien qu’à un stade avancé, et reçoivent des médicaments en vente libre non enregistrés. Les pauvres diabétiques paient pour ce retard de leur vie. Appliquer le modèle Kaiser Permanente serait impensable ici, un modèle qui consacre 70% des ressources aux 5% supérieurs des cas graves.

Le changement ne peut se produire que par le biais des politiques de santé et de l’action gouvernementale. Jeremy Ang’s8 article arrive aux mêmes conclusions que celles auxquelles est parvenu Julian Hart en Angleterre dans les années 1960 : « L’Inde devra transformer radicalement son mode de prestation de soins de santé d’un mode réactif à un mode anticipatif, d’un système qui traite les maladies épisodiques à un système qui effectue des contrôles périodiques. La politique devra également être « centrée sur la santé » plutôt que sur les soins de santé. Pour un pays aussi grand que l’Inde, la seule façon de le mettre à l’échelle tout en améliorant l’efficacité et l’efficience passe par une « approche des soins de santé primaires ».Un rôle plus proactif dans la prévention de la maladie des citadins pauvres est nécessaire ».

La complexité des interventions est liée aux conditions socio-économiques et, en particulier, à l’accès à l’éducation et à l’eau potable. Une image du bidonville de Dharawi illustre le fait qu’encourager l’activité physique dans un environnement où les rues ne sont souvent pas plus larges que 70 cm et les températures très élevées n’a aucun sens, en particulier dans le cas des femmes qui très souvent ne quittent jamais les bidonvilles.

Un changement épidémiologique a déjà eu lieu, et aussi dans la phase post coronavirus le nombre de maladies chroniques sera plus élevé que les maladies aiguës et transmissibles. Il n’y a pas de solution facile à cela : l’Inde, qui est à la fois très riche et très pauvre, nécessite des interventions spécifiques visant des contextes différents, et il convient de noter qu’une transition vers une approche anticipative et proactive peut être trouvée à la fois dans les pays riches et dans les pays pauvres

Julian Hart (8), il y a plus de 50 ans, a parlé de médecine anticipative d’initiative, qui nécessite un modèle organisationnel et conceptuel différent. Et la structure de soins de santé pour intercepter les gens qui pourraient ne pas savoir qu’ils sont malades. Aujourd’hui, la pandémie de coronavirus nous oblige à admettre que partout la dimension territoriale a été négligée. La triade très discutée applicable aux maladies infectieuses – test, trace, traiter – ne peut fonctionner qu’avec un territoire opérationnel : par exemple, le même réseau qui suit et suit les diabétiques peut être utilisé en cas d’urgence infectieuse. Cela nécessite de la créativité organisationnelle en dehors des hôpitaux.
Nous avons vu de solides systèmes de santé s’effondrer, par exemple en Italie, en Espagne, en Angleterre et surtout aux États-Unis, où l’accent a été mis sur le grand réseau hospitalier, parce que c’est là que les malades sont allés chercher de l’aide. Il aurait été nécessaire de renforcer le système et de mettre en œuvre la prévention au niveau territorial, d’isoler les nouvelles infections et d’aplatir la courbe qui a submergé les hôpitaux et provoqué des situations que nous pensions impensables – des camions transportant des cadavres à Bergame, en Italie, et des cellules de réfrigérateur utilisées pour les corps à New York. Les territoires et la médecine de la chronicité sont étroitement liés à l’acuité, en particulier aux maladies infectieuses, et il est erroné de se concentrer sur les différentes branches spécialisées au sein des hôpitaux publics ou des cliniques privées d’excellence. Nous voyons maintenant que la leçon de la chronicité s’applique également à un contexte aigu, c’est une opportunité d’amélioration.

Part:

Note

1
Shivani A. Patel (PhD1), Solveig A. Cunningham, (PhD1), Nikhil Tandon (MD2) et al. (2019), Chronic Diseas- es in India – Ubiquitous Across the Socioeconomic Spectrum, «JAMA Netw Open», 2(4), 2019, e190404
https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2019.0404
2
Nations within a nation: variations in epidemiological transition across the states of India, 1990-2016, in «Global Burden of Disease Study», Volume 390, Issue 10111, De- cember 02, 2017, pp. 2437-2460
3
https://www.who.int/chp/chronic_disease_report/ media/INDIA.pdf
4
Maciocco G., La Salute Globale, Carocci Faber, San- tomauro
5
Song Y., Huang Y., Song Y. et al. (2015), Birthweight, mediating biomarkers and the development of type 2 diabetes tional and conceptual model. And healthcare structure to in- tercept people who might not know they are ill. Today the coronavirus pandemic forces us to admit that everywhere the territorial dimension has been neglected. The much discussed triad applicable to infectious diseases – test, trace, treat – can only work with a function- ing territory: for example, the same network that tracks and follows diabetics can be used in cases of infectious emergen- cies. It requires organizational creativity outside hospitals. We have seen strong healthcare systems collapse, for instance in Italy, Spain, England and especially in the United States, where the focus was on the large hospital network, because that is where the ill went for help. It would have been nec- essary to reinforce the system and implement prevention at a territorial level, to isolate new infections and flatten the curve which overwhelmed hos- pitals, and caused situations we thought were unthinkable – trucks carrying corpses in Bergamo, Italy, and refrigera- tor cells being used for bodies in New York. Territories and medicine for chronicity are intertwined with acuity, espe- cially with infectious diseases, and it is wrong to focus on the various specialised branches in- side public hospitals or private clinics of excellence. We now see that the lesson of chronici- ty also applies to an acute con- text, it is an opportunity for improvement. later in life: a prospective study of multi-ethnic women, in «Diabetologia», 58, pp. 1220-1230
https://doi.org/10.1007/s00125-014-3479-2
6
Lumagbas L.B. et al. (2018), Non-communicable diseases in Indian slums: re-framing the Social Deter- minants of Health, in «Glob Health Action», 11(1), 2018, 1438840. Published online 2018 Mar 28
https://doi.org/10.1080/16549716.2018.1438840
7
Jeremy Ang
https://muhi.org.au/primary-health-care-initiatives-for-dharavi-india
8
Hart JT. (1971), The inverse care law, in «Lancet» 297(7696), 1971; pp. 405-412
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